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Guillaume Dulude est docteur en neuropsychologie. Il parle neuf langues. Il a visité plus de 100 pays. Il tire à l’arc, pêche avec ses mains, chasse avec un aigle. Il peut extraire du miel d’un arbre, construire une yourte et jouer au polo avec une chèvre. | par Alexandre Pratt, La Presse
Ah oui, il anime aussi la meilleure émission de la saison, Tribal, à TV5.
L’homme le plus intéressant du Québec, c’est lui.
C’est la première fois que vous voyez son nom ? Normal. Sa série est mal casée. Le vendredi soir, à 21 h 30. Dommage. Ses aventures parmi des tribus nomades méritent un meilleur auditoire. Depuis deux mois, il nous a amenés au Kirghizistan, en Mongolie, en Tanzanie, en Indonésie. Des fois, tout se passe bien. D’autres fois, non. La semaine dernière, au Gabon, il n’était pas le bienvenu. C’était pénible – et il ne l’a pas caché à la caméra.
« Je veux que ce soit authentique, souligne-t-il en entrevue. On ne s’en va pas regarder du bétail. On s’en va créer un vrai contact, avec des vrais humains. Alors on ne va pas reprendre une même séquence 25 fois. Tu manques ta shot ? Tu manques ta shot. »
Maintenant, comment est-il devenu globe-trotter ? Comment a-t-il acquis toutes ses connaissances ? Est-il fils de diplomates ? De grands explorateurs ?
« Pas du tout ! Je viens de Saint-Basile-le-Grand. Ma mère est professeure de maternelle. Mon père installe des enseignes et des structures. Personne n’est un grand voyageur dans ma famille. Je suis un extraterrestre [rires] ! »
Lui-même n’a jamais voyagé avant ses 20 ans. Son enfance, il l’a surtout passée le nez dans ses manuels de robotique, et dans le bois, au chalet de ses parents.
Enfant, j’étais anxieux. Ma grosse phobie, à l’école, c’était de ne pas avoir d’amis. La solitude m’effrayait. J’étais incapable d’affronter un conflit, une émotion négative. Ma mère a dit : ça n’a pas d’allure. Tu dois te déniaiser.
Guillaume Dulude
« Elle faisait des jeux de rôle avec moi. On consacrait presque autant de temps à la communication et à l’expression de mes sentiments qu’aux travaux scolaires. »
Au secondaire, Guillaume Dulude s’est découvert une passion pour la robotique. « Mon seul but dans la vie, c’était de construire des mains robotisées. J’ai gagné plein de concours. À un moment donné, je me suis dit : c’est ça qui est ça. Ma mère, qui était assez déterminée, m’a donné 24 heures pour me trouver une nouvelle passion. »
Il a choisi la natation. Il y a excellé. Assez pour participer à des compétitions nationales. « J’étais dans le top 10, top 15 au pays. » Mais après quelques années, tout s’est écroulé lorsqu’il a réalisé qu’il ne se qualifierait pas pour les Jeux olympiques. « J’étais pas mal déprimé. »
« Parallèlement, depuis que je suis enfant, je me suis toujours posé de grandes questions. Qui suis-je ? Qu’est-ce que je ferai quand je serai grand ? Ça donne quoi, vivre ? J’étais toujours là-dedans. Encore aujourd’hui, c’est une obsession. »
Il a tout planqué. La natation, sa blonde, ses études. « Je me suis dit : je vais aller à l’aventure. Je vais réfléchir à ma vie. Je vais faire le tour du monde sans argent.
– Et puis ?
– Ç’a été l’année la plus difficile de ma vie. »
***
Guillaume Dulude a alors 20 ans. Il n’a jamais voyagé. C’est tout juste s’il parle l’anglais.
« Tout le monde me disait : tu vas voir, c’est le fun, voyager. Sauf que dès le départ, j’avais toujours une boule dans le fond de mon ventre. J’étais plus malheureux que jamais. Je me posais plein de questions. Est-ce que j’ai un problème ? Un défaut ? »
Ce n’est pas parce que tu changes de pays que les enjeux non résolus restent à la maison. Je n’avais aucune idée de qui j’étais. Je ne savais pas ce que c’était d’être un adulte autonome.
Guillaume Dulude
Pendant son séjour en Égypte, il se heurte à un mur.
« J’ai beaucoup pensé au suicide. Je me suis dit : regarde, si tu ne meurs pas, fais au moins quelque chose de bon pour toi. Je n’ai rien à perdre. Je suis dans la merde. Ma vie ne vaut plus rien. J’ai décidé d’aller dans une tribu au Kenya. »
Il se rend chez les Massaïs, avec trois fois rien.
« Ma première expédition. J’ai failli me faire manger par un lion dans un hamac. J’ai bu du sang de vache. C’est le moment où j’ai fait : OK, je peux prendre une décision, et aller jusqu’au bout. J’étais fier. L’année suivante, je me suis lancé un paquet d’autres défis. Je dormais par terre. Je ne mangeais pas souvent. J’ai tout filmé. Quand je suis revenu, j’avais changé. »
Aujourd’hui, Guillaume Dulude a 36 ans. Il va beaucoup mieux. « Si c’était à refaire, je ne changerais rien », confie-t-il. Depuis une quinzaine d’années, il combine ses trois passions : les voyages d’aventure, les humains et la communication. Il a produit plusieurs films, pour Canal D et Les Grands Explorateurs, souvent avec les moyens du bord. « J’allais voir mes profs d’université. Je leur présentais de faux projets pour pouvoir emprunter une caméra. Je partais pendant six mois. Puis je ramenais la caméra, en disant : ç’a été un peu plus long que prévu [rires] ! »
Au fil des voyages, il a appris plusieurs langues. Notamment le russe, qu’on peut l’entendre parler avec aisance dans l’épisode au Kirghizistan. Il s’est initié à des centaines de méthodes ancestrales. De chasse. De pêche. De survie. De construction. Il a aussi assisté à des scènes d’horreur.
« J’ai vu des gens se faire couper la tête devant moi, parce qu’une guerre venait d’éclater entre deux tribus. Il faut être à l’aise. Il faut être capable de se battre. C’est un peu rough… »
« – Crains-tu la mort ?
– Non. Mais je ne veux pas aller vers elle pour rien… »
Pendant le tournage de Tribal, il a eu une bonne frousse. Il s’est fait piquer par des abeilles lors d’une récolte de miel dans un arbre. Il a subi une forte réaction allergique. Son visage est devenu boursouflé. Heureusement, il avait son EpiPen. « Ç’aurait été un peu niaiseux, comme fin… »
Et comment fait-il pour convaincre les tribus de se laisser filmer ?
Il a parfait une technique pour entrer en communication avec elles. C’est d’ailleurs un des moments les plus intéressants de chaque épisode de Tribal.
« Le premier contact, c’est un art. Je dois m’assurer que le contact visuel ne se fera qu’avec moi. Le caméraman, Guillaume Beaudoin, doit garder ses yeux dans la caméra. C’est seulement lorsque la relation sera suffisamment bonne, qu’il y aura une détente, que là, c’est correct. Il peut leur serrer la main. C’est tout un ballet. »
À la télévision, les deux Guillaume semblent rester trois jours dans chaque tribu. Dans les faits, ils s’installent pour une semaine. Ça leur permet de renforcer le lien de confiance. Ce qui mène à des participations à la chasse, à des cérémonies initiatiques ou à un match de bouzkachi, une forme de polo où la balle est remplacée par un animal mort, comme une chèvre.
« Dans le fond, conclut Guillaume Dulude, Tribal, c’est une excuse pour parler du comportement humain. Pour montrer à quel point on est beaux. »
Tribal, TV5, vendredi 21 h 30.